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Camille Labro : « On peut changer le monde en changeant nos habitudes alimentaires »

Journaliste culinaire et auteur du livre Fourche et Fourchette, Camille Labro est passionnée par la Nature et par la cuisine. Pour elle, le consommateur comme le producteur ont un réel rôle à jouer pour mieux manger, mieux vivre et pour sauver notre planète. Pour le projet Biofermes, la journaliste est passée du côté des interrogés. Découvrez son témoignage inspirant.

SOL : Journaliste culinaire et auteur du livre à mi-chemin entre livre de cuisine et documentaire Fourche et Fourchette, pouvez-vous nous en dire plus sur votre rapport à la terre ?

Camille : Mon rapport à la terre me vient de mon enfance. J’ai grandi à la campagne, en Provence, avec un jardin potager et fruitier que mon père cultivait amoureusement. Enfant, j’allais régulièrement, avec ma mère, faire les courses au petit marché de producteurs qui avait lieu tous les jours sur la place du village !

Plus je me suis éloignée de la campagne, en déménageant à Nice, puis à Paris, puis à New York, plus la Nature me manquait. Mon rapport à la terre est aussi ancré dans la cuisine, car ma mère est une cuisinière merveilleuse, et j’ai passé mon enfance à déguster des bons petits plats.

Lorsque je suis devenue journaliste, j’ai rapidement et naturellement été amenée à écrire sur la cuisine.

Pour moi, on ne peut pas parler de ce que l’on mange sans parler d’où ça vient, sans parler d’agriculture, d’environnement, de climat… C’est ainsi que le journalisme culinaire m’a ramenée à la terre. Par ailleurs, je suis intimement convaincue qu’on peut changer le monde en changeant nos habitudes alimentaires. Je repense à cette phrase très juste de François Collart Dutilleul : « il faut penser de la fourchette à la fourche » c’est à dire réfléchir aux impacts que l’on a sur la société et son environnement, par la manière dont on mange.

SOL : Pouvez-vous nous en dire plus sur la connexion entre alimentation et agriculture et sur le besoin de sensibiliser le plus grand nombre à ce lien?

Camille : Pour moi, la question à se poser c’est « Comment faire, chacun à son niveau pour changer les choses ? » : il faut bien sûr que les producteurs changent mais aussi les consommateurs, qu’ils deviennent des « consom’acteurs ». Et la solution, c’est l’éducation. Aujourd’hui, les adultes qui pensent encore qu’on peut sauver le monde avec des OGM et des produits chimiques restent difficiles à convaincre, il faut donc toucher les enfants ; en passant par l’éducation alimentaire auprès des petits. Il faut également toucher les paysans et les néo-ruraux qui veulent opérer un retour à la terre.

Il y a un véritable enjeu pour faire ré-entrer l’alimentation dans l’éducation à l’école. Parler par exemple des saisons, de la graine, des aliments, de nutrition ; mais aussi faire du jardinage, cuisiner …

Une petite anecdote à ce sujet : quand ma fille Cléo avait 5 ans, je lui ai proposé de m’aider à planter et je lui ai donné un haricot, en lui disant « Ma fille tu es responsable de ta plante, tu l’arroses régulièrement et tu vas voir ce qui se passe ». 4 jours après, il y avait un germe, puis la plante a poussé et est devenue plus haute qu’elle, jusqu’à donner 3 cosses. Ces 3 cosses de haricots ont donné 3 graines qui avaient la même tête que celle qu’elle avait planté. Quand elle les a découvertes, elle s’est exclamée « Maman c’est fantastique la vie ! ». Elle avait tout compris, avec un seul petit haricot.

SOL : D’après l’Insee, la France va perdre 45 % de ses paysans d’ici 2020. Que pensez-vous de ce constat ?

Camille : C’est un constat affligeant, tout comme le fait qu’un agriculteur se suicide tous les 2 jours en France. Mais je suis tout de même assez optimiste : depuis 5 ans, il y a un véritable mouvement de prise de conscience générale qui se développe, d’envies des consommateurs, de création de mouvements, des grands groupes alimentaires qui s’emparent du sujet. Toutes ces initiatives mettent en lumière les alternatives agricoles, et mettent à l’ordre du jour la perte de la biodiversité humaine et agricole. En parallèle, de plus en plus de citadins veulent changer d’alimentation, voire de mode de vie. Les échanges entre zones urbaines et rurales se développent, s’enrichissent. Il est bien sûr important que des associations comme les vôtres soutiennent ces évolutions, afin que tout cela ne reste pas une belle utopie et que les projets des uns et des autres se structurent de façon pérenne.

Par ailleurs, chacun d’entre nous doit apprendre à se diversifier. Il faut transmettre nos savoirs, échanger nos savoir-faire, mutualiser nos connaissances, pour avoir une vision et une action d’ensemble et à long terme. Il est essentiel de soutenir les paysans pour qu’ils utilisent et développent toutes leurs capacités, pour qu’ils nourrissent au mieux la terre et les individus.

Je crois que même les grands groupes de l’agro-alimentaire peuvent jouer un rôle pour changer le système de l’intérieur. Car même si leur intérêt reste le profit, ils ont bien compris que l’enjeu de demain, ce que recherchent les consommateurs modernes, c’est « mieux manger ». Comme dit mon ami paysan Xavier Mathias : « si pour faire de l’argent, il faut mieux nourrir la population, alors ils le feront. »

SOL : D’après vous, comment peut-on contrer cette tendance ? Pourquoi est-il urgent de développer les pratiques agroécologiques, comme le fait le projet « Biofermes » particulièrement en France ?

Camille : Il faut travailler avec la Nature et non contre elle. Il suffit de l’observer, de l’écouter et de l’imiter pour obtenir des choses merveilleuses. Ce que je retiens de l’agroécologie ou de la permaculture, c’est la manière de réfléchir au fonctionnement humain de façon holistique en prenant en compte tous les éléments : les besoins humains, les besoins de la Nature, les besoins de notre entourage et la prise en compte de ce qui a été fait et est à faire. Il faut, en quelque sorte, penser nos vies de manière « permacole », c’est à dire en s’inspirant de la nature, dans l’intérêt de la terre et des hommes.

SOL :  D’après vous, le consommateur a-t-il un rôle à jouer pour favoriser le maintien et le développement de l’agriculture paysanne ?

Camille : Le consommateur a rôle fondamental, mais il ne peut pas être seul. J’ai beaucoup d’espoir car les consommateurs sont de plus en plus en demande. En occident, les grandes surfaces sont en recul sur leurs produits de masse, et il y a une demande croissante pour une nourriture plus saine, plus brute, traçable : les listes d’attente pour les AMAP sont énormes, les projets d’agriculture urbaine sont florissants, les villes s’engagent, les dialogues se nouent de plus en plus avec les paysans qui nous nourrissent. On va dans le bon sens, même si j’ai conscience qu’il y a une masse de gens qui n’ont pas accès à tout cela. La prise de conscience écologique reste une problématique des classes aisées. Or il faut que l’information circule dans toutes les strates de la société, au nord comme au sud.

Il faut avouer que les crises sanitaires jouent un rôle important dans la prise de conscience du plus grand nombre, et le désir de modèles alternatifs. Par exemple, le scandale des lasagnes à la viande de cheval a généré une baisse drastique des ventes de plats préparés surgelés ; la crise de la vache folle ou, tout récemment, le scandale des œufs au fipronil ont mis en lumière l’absurdité de l’élevage industriel…. Ces scandales, bien que dramatiques, ont le mérite de montrer les défaillances du système et de sensibiliser beaucoup de monde. Tant que le système agro-industriel, mondialisé et sous perfusion, sera ce qu’il est, il y aura des crises, des problèmes sanitaires. Chacun doit prendre le problème à son niveau, et faire des choix impactants.

SOL : Souhaitez-vous ajouter un mot ?

Camille : Je crois que l’un des problèmes principaux de l’alimentation aujourd’hui, c’est qu’on l’a réduite à un commerce. C’est dramatique de voir à quel point tout ce qui a trait à notre nourriture (pourtant vitale) est transformé en valeur marchande.

Pour renverser la vapeur, il est impératif, avant toute chose, de remettre de l’humain, de l’affect et de la tendresse dans ce que nous faisons, dans la manière dont nous vivons et dont nous mangeons. Il faut se remettre en cuisine, se remettre à table avec ses proches, prendre le temps. Et il faut se rendre compte que les meilleurs paysans aujourd’hui, ceux qui sont à même de nous nourrir durablement, ce sont ceux qui ont choisi de faire ce métier par amour. Amour de la terre et des gens. Le futur est dans le pré.

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